Un tribunal de la RD Congo rend une décision historique en faveur d’un travailleur blessé dans une mine de cobalt

Une victoire judiciaire aboutit à la réhabilitation d’un travailleur congolais blessé à la mine de Kisanfu

« Les multinationales et leurs sous-traitants ont une emprise puissante sur les travailleurs congolais qui dépendent d’eux pour leur subsistance. Qu’un tribunal local modifie ce déséquilibre de pouvoir et reconnaisse publiquement les droits humains d’un travailleur est sans précédent.” D’autres instances judiciaires congolaises doivent suivre cet exemple. »

Me Josué Kashal, CAJJ, qui a introduit la demande en justice

« Les tribunaux congolais statuent rarement sur les violations des droits humains des travailleurs dans les mines industrielles de cuivre et de cobalt parce que les travailleurs ont trop peur ou sont trop pauvres pour porter plainte. Cette affaire illustre clairement ce qui est possible lorsqu’un travailleur courageux fait équipe avec des avocats bénévoles pour contester le statu quo et exiger que les droits des travailleurs soient respectés. »

Anneke Van Woudenberg, Directrice exécutive, RAID

« Le fait de porter mon affaire devant la justice a montré qu’il était possible de lutter contre les comportements illégaux des entreprises dans mon propre pays et de gagner. J’espère que ma victoire apportera confiance à d’autres travailleurs qui ont été exploités et ignorés. »

Patient Mukenge Zaluke, le travailleur congolais ayant porté plainte contre son employeur

 

Le Parquet du tribunal de grande instance de Kolwezi, en République Démocratique du Congo, a instruit une affaire historique ordonnant à Panda International Congo Engineering de payer la totalité des frais de santé et des mensualités de salaire impayées à un travailleur congolais blessé dans la mine de cobalt et de cuivre de Kisanfu, appartenant à China Molybdenum. Panda est un sous-traitant fournissant, entre autres, des services d’ingénierie et de mécanique à la société opérant la mine de Kisanfu.

Cette victoire judiciaire est l’issue d’un des premiers cas où un Congolais travaillant sur un site minier industriel a poursuivi avec succès son employeur pour des dommages corporels subis au travail. Elle constitue un précédent important pour les droits des travailleurs en RDC.

La mine de Kisanfu héberge l’une des plus grandes réserves inexploitées de cobalt et de cuivre au monde. En 2021, le fabricant de batteries lithium-ion de véhicules électriques, Contemporary Amperex Technology (CATL), a acquis une participation dans la mine via l’une de ses filiales pour un montant de 137 millions de dollars.

Le 28 août 2021, Patient Mukenge Zaluke, un mécanicien engagé par Panda pour travailler à Kisanfu, subissait de graves blessures à la suite de la chute d’un moteur de camion tombé sur sa main gauche, l’écrasant et brisant de nombreux os. Pendant plus de trois mois, Mukenge a été incapable de travailler et, faute de moyens, de payer les frais médicaux pour soigner ses blessures. Bien que le dommage corporel soit survenu au travail, l’employeur de Mukenge, Panda, a d’abord refusé de couvrir ses frais médicaux et de physiothérapie.

Le Code du travail congolais prévoit que lorsqu’une blessure survient sur le lieu de travail, l’employeur est responsable de tous les frais de santé associés. Pourtant, les droits des travailleurs sont souvent ignorés et les travailleurs congolais intentent rarement des actions en justice contre leurs employeurs par peur de perdre leur emploi et/ou parce qu’ils n’ont pas les fonds nécessaires pour engager un avocat.

Devant le Parquet du tribunal de grande instance de Kolwezi, Mukenge a été représenté par Me Josué Kashal et Me Etienne Ngoie du Centre d’Aide Juridico-Judiciaire (CAJJ), une organisation d’assistance juridique basée à Kolwezi. Les avocats ont fait valoir que Panda était tenu de respecter le Code du travail congolais, ainsi que la Constitution congolaise et les normes internationales sur les droits humains qui reconnaissent un droit à la santé.

Le 29 octobre 2021, le Parquet du tribunal de grande instance de Kolwezi a donné raison à CAJJ et a enjoint Panda à payer tous les frais liés aux soins de santé de Mukenge, ainsi que son salaire total pour la période pendant laquelle il a été dans l’incapacité de travailler. Le montant final a été convenu entre les parties et approuvé par le magistrat instructeur du dossier le mois dernier.

« En tant que travailleurs, nous savons que nos droits humains sont bafoués, mais nous restons silencieux de peur de perdre notre emploi, » a déclaré Mukenge. « Après avoir été gravement blessé au travail, j’ai décidé de faire face à mon employeur qui refusait de payer mes dépenses médicales. Ça ne semblait pas juste. Le fait de porter mon affaire devant la justice a montré qu’il était possible de lutter contre les comportements illégaux des entreprises dans mon propre pays et de gagner. J’espère que ma victoire apportera confiance à d’autres travailleurs qui ont été exploités et ignorés. »

 

Violations généralisées des droits humains des travailleurs dans le secteur minier 

Le cas de Mukenge n’est qu’un exemple des nombreuses violations des droits des travailleurs dans les mines industrielles de la RD Congo exploitées par des sociétés multinationales. En novembre 2021, RAID et CAJJ ont dénoncé des conditions de travail désastreuses, de la discrimination et des salaires extrêmement bas dans cinq mines industrielles de cuivre et de cobalt dans un rapport intitulé La route de la ruine?

Les organisations ont constaté que le modèle de sous-traitance selon lequel les travailleurs comme Mukenge sont employés indirectement via des entreprises sous-traitantes, plutôt que d’être embauchés directement par les sociétés minières, était un élément fondateur des abus. Les chiffres officiels montrent qu’au moins 57% de la main-d’œuvre dans les mines incluses dans le rapport est fournie par des sous-traitants.

Les travailleurs embauchés par des sous-traitants gagnent des salaires extrêmement bas, souvent bien inférieurs au salaire de subsistance de 402 USD par mois, c’est-à-dire la rémunération minimale pour garantir un niveau de vie décent. Ils bénéficient de prestations de soins de santé limitées ou inexistantes, travaillent des heures excessives et, souvent, sont soumis à des traitements dégradants, à de la violence, à de la discrimination et à du racisme. Les travailleurs ont exprimé leur désespoir de ne pas pouvoir se sortir de la pauvreté malgré un emploi formel.

Les inspecteurs du travail congolais, dont le travail consiste à faire respecter le droit du travail du pays, semblent incapables de faire face aux abus généralisés dont sont victimes les travailleurs. La région de Kolwezi, où se trouvent les principales mines industrielles de la RD Congo, dont Kisanfu, ne compte que deux inspecteurs qui disposent de peu de ressources pour vérifier les conditions de travail de dizaines de milliers de travailleurs. Les inspecteurs de toute la RD Congo ont déclaré recevoir de faibles salaires et ne pas disposer de moyens de transport pour effectuer des visites sur place. Un inspecteur a déclaré qu’il avait acheté son propre mobilier de bureau et qu’il payait lui-même les frais de déplacement liés au travail. Dans un tel contexte, les violations des droits du travail se sont multipliées, pour l’essentiel en toute impunité.

« Le cobalt extrait en RD Congo est destiné aux batteries des véhicules électriques mais très peu de constructeurs automobiles remettent en cause le système de travail bon marché et d’exploitation qui entache leurs produits », a déclaré Van Woudenberg. « Les fabricants de véhicules électriques devraient effectuer leurs propres contrôles pour vérifier que les travailleurs, qu’ils soient embauchés directement par les sociétés minières ou indirectement par l’intermédiaire de sous-traitants, gagnent un salaire décent et soient traités dignement. Ils peuvent utiliser leur influence sur leurs fournisseurs pour s’assurer que le cobalt qu’ils achètent est véritablement exempt de violations des droits humains et des droits des travailleurs.”

Notes :

RAID et CAJJ sont en possession des procès-verbaux d’audition. Veuillez contacter RAID pour obtenir une copie.

Le résumé du rapport en français « La route de la ruine ? Les véhicules électriques et les violations des droits des travailleurs dans les mines industrielles de cobalt au Congo »

Photo : Josué Kashal par Pete Pattison / The Guardian